Chaque année, entre janvier et mars, des milliers d’entreprises québécoises préparent leurs budgets de rémunération. Ces enveloppes sont rarement décidées à l’improviste. Elles découlent de prévisions financières, d’analyses sectorielles et surtout… de contraintes. Ainsi, dans 74 % des PME québécoises, les gestionnaires doivent justifier chaque ajustement salarial devant une direction ou un comité budgétaire (source : Ordre des CRHA, 2024). Le problème, c’est que les employés n’ont pas toujours conscience de cette mécanique. Plusieurs croient qu’un gestionnaire peut donner une augmentation simplement parce qu’il « veut ». En réalité, même les patrons les plus compréhensifs sont souvent pris dans des barèmes prédéfinis. Et s’ils débordent sans explication, ils risquent de perdre leur crédibilité, leur prime ou leur cohérence interne.

Cette logique est encore plus visible dans les secteurs syndiqués ou publics, où les échelles salariales sont strictes et publiées. Mais même dans les milieux privés, il y a des normes. Cela explique pourquoi seulement 27 % des demandes d’augmentation aboutissent quand elles sont mal préparées, contre 68 % lorsque l’employé démontre une valeur ajoutée claire et quantifiée (source : Enquête RH-Québec 2023).

Il devient donc impératif pour un employé d’arriver en mode solution, et non en simple réclamation. Il ne s’agit pas seulement de demander plus. Il faut prouver que vous valez plus, que votre poste a évolué ou que votre secteur a changé.

Ce que vous devez préparer avant la discussion

  • Liste précise des tâches ajoutées à votre description de poste initiale
  • Évolution de vos responsabilités depuis votre embauche
  • Chiffres concrets : rendement, projets livrés, gestion de crise, économies réalisées
  • Comparatifs internes : écarts observés avec des collègues aux responsabilités similaires
  • Documents : évaluations annuelles, commentaires positifs, courriels de reconnaissance

Savoir choisir le bon moment (et le bon ton)

Même le meilleur argument perd de sa force s’il est mal chronométré. Au Québec, les demandes salariales réussies sont faites à 62 % durant des fenêtres budgétaires ciblées ou après une évaluation annuelle (Baromètre RH Léger-CRHA, 2023). Malheureusement, une erreur fréquente est de vouloir négocier lundi matin à 8 h, en pleine crise, ou vendredi à 16 h 45, juste avant la fin de semaine.

Les gestionnaires, comme tout le monde, ont des priorités fluctuantes. Le début de semaine est souvent chargé, avec des urgences, des suivis et des imprévus. Le vendredi, ils sont ailleurs mentalement. Ce que recommandent les experts ? Le mardi ou mercredi, entre 10 h et midi, quand la pression est plus stable et l’attention mieux dirigée.

Un autre facteur crucial est le cycle de vie de votre entreprise. Si elle est en restructuration, en baisse de revenus ou vient de perdre un gros client, votre demande risque d’être vue comme déplacée, peu importe sa pertinence.

Un directeur d’usine de la Montérégie le disait ainsi : « Un employé peut avoir raison sur le fond, mais s’il frappe à la mauvaise porte, au mauvais moment, il repart avec un non… et une frustration inutile. »

Le bon moment dépend aussi de :

  • La période budgétaire (souvent Q1 pour les révisions salariales)
  • Le cycle de performance (évaluations, projets majeurs terminés)
  • Votre propre initiative (après une réussite, une reconnaissance ou une crise bien gérée)
  • L’humeur ou la disponibilité mentale du gestionnaire

Structurer ses arguments : la rigueur avant tout

Dans une étude menée par l’Université de Sherbrooke en 2022, on apprend que les demandes de hausse salariale fondées sur des comparatifs concrets ont 2,5 fois plus de chances d’être acceptées. Pourtant, seulement 35 % des employés interrogés apportaient des données ou des exemples mesurables lors de leurs négociations.

Cela crée un écart : les RH veulent de la précision, mais les employés arrivent avec des perceptions.

Par exemple, dire : « J’ai travaillé fort cette année », ne suffit plus. Il faut documenter. Montrer qu’on a dépassé les attentes, pris en charge des mandats additionnels ou livré plus rapidement qu’anticipé. Et surtout, il faut savoir se comparer aux bons référents.

Un piège courant est d’utiliser un rapport salarial national, alors qu’on travaille en région. Ou encore de comparer son salaire à celui d’un collègue qui a 15 ans d’expérience dans un domaine adjacent. Ces erreurs sont fréquentes, et les gestionnaires les détectent rapidement.

Autre réalité : les attentes salariales ont explosé dans certains secteurs. Selon Jobboom, le salaire moyen d’un technicien en informatique a augmenté de 9,3 % entre 2022 et 2024, alors que celui d’un technologue en laboratoire est demeuré stable. Savoir où vous vous situez dans cette dynamique sectorielle fait toute la différence.

Ce qu’un bon argumentaire devrait contenir

  • Vos responsabilités ont-elles dépassé votre fiche de poste initiale ?
  • Vos résultats sont-ils chiffrables (ventes, taux de satisfaction, économies, livrables) ?
  • Avez-vous des offres concurrentes crédibles à montrer (avec prudence) ?
  • Vos données comparatives sont-elles à jour, locales et dans le bon secteur ?
  • Avez-vous fait valider votre rendement par des évaluations officielles ?

Adapter sa stratégie au type de gestionnaire

La réussite d’une négociation salariale dépend non seulement de la solidité de vos arguments, mais aussi de la manière dont vous les présentez à votre gestionnaire. Comprendre le profil de votre interlocuteur peut grandement influencer l’issue de la discussion.

Selon une étude de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) de 2024, 65 % des gestionnaires québécois se décrivent comme étant soit « directs et structurés », soit « collaboratifs, mais hésitants » dans leur style de gestion. Ces deux profils nécessitent des approches différentes lors d’une négociation.

Un gestionnaire direct appréciera une présentation concise, appuyée par des données concrètes et des résultats mesurables. À l’inverse, un gestionnaire plus collaboratif pourrait être sensible à une discussion ouverte, mettant en avant l’impact de votre travail sur l’équipe et l’organisation.

Comme le souligne Marie-Claude Pelletier, experte en développement organisationnel : « Adapter son discours au style de gestion de son supérieur est essentiel pour établir une communication efficace et obtenir des résultats positifs. » 

Stratégies selon le profil du gestionnaire

  • Gestionnaire direct :
    • Préparez un dossier structuré avec des faits et des chiffres.
    • Soyez précis dans votre demande et évitez les digressions.
    • Proposez des solutions concrètes pour répondre aux besoins de l’organisation.
  • Gestionnaire collaboratif :
    • Engagez une conversation ouverte sur vos aspirations professionnelles.
    • Mettez en avant votre contribution à l’équipe et à la culture d’entreprise.
    • Soyez prêt à écouter et à intégrer les suggestions de votre supérieur.

Négocier au-delà du salaire

Dans certaines situations, une augmentation salariale immédiate peut ne pas être envisageable pour des raisons budgétaires ou structurelles. Cependant, cela ne signifie pas que la négociation est terminée. Il est possible d’explorer d’autres formes de reconnaissance et de compensation qui peuvent améliorer votre satisfaction au travail.

Selon une enquête menée par l’Institut de la statistique du Québec en 2024, 58 % des employés ayant obtenu des avantages non monétaires, tels que des horaires flexibles ou des opportunités de développement professionnel, ont rapporté une augmentation de leur engagement et de leur motivation au travail.

Comme le mentionne Jean-François Tremblay, consultant en ressources humaines : « La reconnaissance ne se limite pas à la rémunération. Des aménagements de travail adaptés ou des perspectives d’évolution peuvent être tout aussi valorisants pour un employé. »

Alternatives à considérer

  • Horaires flexibles : Possibilité de télétravail ou d’aménagement des heures de travail.
  • Formation professionnelle : Accès à des programmes de développement des compétences.
  • Jours de congé supplémentaires : Octroi de journées personnelles ou de vacances additionnelles.
  • Opportunités de carrière : Participation à des projets stratégiques ou à des comités internes.
  • Reconnaissance formelle : Mise en valeur de vos réalisations dans les communications internes.

Transférer la responsabilité : la technique du « singe sur l’épaule »

La technique du « singe sur l’épaule » consiste à repositionner la discussion en posant des questions qui amènent votre gestionnaire à réfléchir aux enjeux soulevés et à proposer des solutions. Cette approche favorise une collaboration proactive et démontre votre engagement envers l’amélioration continue de l’organisation.

Une étude de l’Université Laval en 2023 a révélé que les employés qui utilisent des questions ouvertes lors de négociations ont 35 % plus de chances d’obtenir des résultats positifs, comparativement à ceux qui formulent des demandes directes sans dialogue.

Comme l’explique Sophie Deslauriers, coach en leadership : « En posant les bonnes questions, vous incitez votre supérieur à s’impliquer activement dans la recherche de solutions, ce qui peut mener à des résultats plus satisfaisants pour les deux parties. »

Exemples de questions à poser

  • « Comment envisagez-vous l’évolution de mon rôle au sein de l’équipe dans les prochains mois ? »
  • « Quelles sont les priorités actuelles de l’organisation et comment puis-je y contribuer davantage ? »
  • « Existe-t-il des opportunités de développement professionnel que je pourrais explorer pour accroître ma valeur ajoutée ? »

Le courage de demander, l’intelligence de négocier

Négocier son salaire, ce n’est pas seulement une question d’argent. C’est un acte de maturité professionnelle, de reconnaissance de sa valeur et d’alignement entre ce que l’on donne et ce que l’on reçoit.

Dans un Québec où la rareté de main-d’œuvre atteint des sommets — et où 1 emploi sur 3 reste difficile à pourvoir dans certains secteurs —, ne pas négocier revient souvent à se sous-estimer. Ce n’est pas une faveur que vous demandez, mais un dialogue que vous ouvrez.

Ce que vous cherchez à bâtir, ce n’est pas une paie plus grosse. C’est une relation de travail basée sur la confiance, l’équité et la reconnaissance. Et cela commence par une conversation bien préparée, bien choisie, bien menée.

« Ce ne sont pas ceux qui parlent le plus fort qui obtiennent le plus, ce sont ceux qui parlent avec justesse. »

Alors osez. Avec calme. Avec rigueur. Et avec la certitude que vous êtes un atout, pas un coût.